Le "Lomo Instant Wide" de Lomography est présenté systématiquement comme un appareil "fun", créatif, et c'est vrai. Mais toutes les critiques ou tous les résultats de tests que j'ai pu lire sur internet passent systématiquement sous silence plusieurs de ses limitations.
Voici donc un bilan, basé sur mon expérience, avec comme tout bilan qui se respecte, un actif et un passif!

1) Caractéristiques :
Fabricant: Lomography
Modèle: Lomo Instant Wide avec kit d'accessoires.
Films: Fujifilm Instax Wide, Fujifilm Instax Wide Monochrome; 800 ISO, dimensions hors tout 85x108 mm, dimensions de la zone photo 62x99 mm (le rapport largeur / hauteur de ce format "large" est presque à la proportion idéale du "nombre d'or").
Objectif: focale 99 mm, ouvertures f8 et f22. En plastique.
Compléments optiques: "super grand angle" et "macro" dans le kit d'accessoires.
Visée: deux viseurs en plastique interchangeables, (un pour l'objectif 99 mm, l'autre pour le "super grand angle"); pas de télémètre; pas de grossissement; pas de correction de parallaxe; viseur déporté sur la droite
Mise au point: manuelle, variation continue de 0,6 m à l'infini.
Modes de fonctionnement:
- automatique : durée d'exposition 8 s à 1/250 s, ouverture f8 ou f22
- B: longue pose
- "1/30": durée d'exposition fixe 1/30 s et ouverture fixe f8
- compensations: -1 / 0 / +1
- expositions multiples
Flash intégré: nombre guide 13, filtres colorés, prise PC pour flash externe. Le flash intégré dispose de sa propre cellule.
"Splitzer": cet accessoire permet de prendre la photo en plusieurs parties (demies, quarts).
Le bouchon d'objectif intègre une télécommande infra-rouge, avec deux récepteurs sur l'appareil (1 à l'avant et un à l'arrière).
Filetage pour pied.
En face avant, petit miroir à selfie.
2) Créativité :
Le Lomo Instant Wide combine des filtres colorés pour Flash, la possibilité de faire facilement des photos à expositions multiples, un mode pose longue, et le splitzer.
Lorsqu'on combine ces éléments on arrive effectivement à une grande créativité, avec quelques effets spéciaux possibles:
- expositions multiples au flash avec plusieurs couleurs,
- trucages avec un trépied, le splitzer, deux expositions, par exemple une table, deux chaises, on prend la 1/2 photo gauche avec une personne assise à gauche, la 1/2 photo droite avec la même personne assise à droite, et on éjecte la photo : la même personne occupe les deux chaises,
- light painting en mode pose longue,
- etc.
Le format Wide, et encore plus l'ajout du complément optique "super grand angle" permettent de mettre beaucoup de monde sur la photo!
Le miroir à selfie permet de réaliser... des selfies (très narcissique et très à la mode).
Le complément macro permet de réaliser des macrographies "de chic", au jugé, au résultat parfois étonnant.
--> Du point de vue créativité, le Lomo Instant Wide est à la hauteur de sa réputation.
On trouve de nombreux exemples sur les sites de Lomography :
https://shop.lomography.com/fr/cameras/lomo-instant-wide/lomo-instant-wide-white-single
https://microsites.lomography.com/lomo-instant-wide-camera/photos/
3) Cadrage :
Là, ça commence à se gâter ; les viseurs en plastique sont loin d'être de qualité optique, on y voit flou; on a un décalage important (~90 mm) entre l'axe du viseur et celui de l'objectif avec une absence de correction de parallaxe.
--> le cadrage est (très) approximatif
4) Mise au point :
Selon la documentation du Lomo Instant Wide, la mise au point se fait en trois zones.
En l'absence de télémètre on est amené à faire une estimation "pifométrique" de la distance de l'appareil au sujet.
A l'usage on constate qu'au lieu de trois zones, on a une variation continue de la mise au point entre 0,6 m et l'infini.
On peut apporter deux améliorations, qui donneront une mise au point beaucoup plus nette :
- Sur internet, un gars a étalonné son Lomo Instant Wide, en gâchant pour se faire un max de photos (on peut aussi faire un étalonnage en utilisant un verre dépoli qu'on met à l'intérieur du Lomo, à la place du pack Fujifilm).
Étant fainéant par principe, je préfère toujours récupérer le travail des autres que le recommencer ; tablant sur le fait que le Lomo est fait en série, on peut compter sur une certaine reproductibilité d'un exemplaire à un autre.
Sur la bague de mise au point, on trouve des créneaux en relief:

j'ai donc compté les créneaux sur la photo grand format qui était sur le site du gars qui avait étalonné son appareil, et j'ai converti les pieds en mètres:
* référence, premier trait, marqué 0.6m : distance 0,6 m
* 6 créneaux après la référence : distance 0,9 m
* sur le deuxième trait, marqué 1-2m : distance 1,5 m
* 5 créneaux après : distance 2,10 m
* sur le troisième trait, marqué infini: 3 m (on doit donc régler sur infini dès que la distance entre l'appareil et le sujet est supérieure ou égale à 3 m).
- Après avoir ainsi "étalonné" la bague de mise au point, il reste à trouver un moyen d'évaluer correctement la distance, bref il nous faut un télémètre.
En restant dans l'esprit "approximatif" du Lomo, on peut faire un télémètre "à pas cher" avec un morceau de bristol, une règle, un marqueur fin, un mètre à couturière et une calculatrice.
C'est la méthode du "télémètre humain" (en anglais, human rangefinder). Elle est exposée ici:
https://tomchuk.com/misc/rf/
https://www.lomography.com/magazine/153938-measuring-distance-with-human-rangefinder
Il faut connaître:
- la distance inter-pupillaire "e"
- la longueur entre l’œil et le bras tendu tenant le morceau de bristol à la verticale "a"
- on gradue alors le bristol avec des traits verticaux; le premier correspond à la longueur du bras "a" et se trouve sur le bord du papier; pour les distances suivantes "d" (0,9 ; 1.5 ; 2,1 ; 3 m) on calcule x=e*(d-a)/d, et on reporte cette distance sur le bristol à partir du bord.

Un exemple de bristol gradué:

Utilisation:
On ferme l’œil droit, on tend le bras, on aligne le bord du bristol sur le sujet dont on veut connaître la distance ; puis on ferme l’œil gauche, on ouvre l’œil droit, et on regarde en face de quel trait se trouve le sujet.
5) Profondeur de champ :
Surprise! En mode automatique le Lomo va ouvrir à f8 (faible profondeur de champ) ou f22 (grande profondeur de champ). Et comme il fait ce qu'il veut, on aura la surprise lors du développement instantané de la photo!
6) La cellule
Avec ses deux ouvertures f8 et f22 et son mode automatique non débrayable, vive les photos impossibles à réussir :
Arrière-plan surexposé:

Correction -1, arrière-plan OK, premier plan sous-exposé:

Je voulais montrer la montagne, mais le Lomo a mesuré la luminosité du ciel et la montagne est sous-exposée:

Mais surtout, bien que conçu pour utiliser exclusivement des films de haute sensibilité, 800 ISO, le Lomo ne permet pas l'utilisation de ce film en pleine luminosité !
La datasheet du film, http://www.fujifilm.ca/shared/bin/Datasheet_instaxwidefilm_en.pdf donne les courbes de densité en fonction du produit luminance x durée d'exposition pour le film.
On y voit que :
- La densité est plate jusqu'à H=2*10^-3 lux.s
- Elle décroît fortement à partir de H = 3.1*10^-3 lux.s
- Elle est minimale, le film est complètement surexposé à partir de H = 3.1*10^-2 lux.s
Quelle est la conséquence?
En pleine lumière (mais pas directement braqué sur le soleil), la luminance vaut entre 10000 et 25000 lux.
Supposons que l'ouverture f22 est utilisée, ce qui est logique en pleine lumière.
Avec une distance focale de 99 mm, le diamètre de l'ouverture vaut 99/22 = 4,5 mm.
La surface de l'ouverture vaut PI*4,5^2/4 = 15,9 mm2
La surface exposée du film vaut 62x99 = 6138 mm2.
La luminance ramenée au film est donc comprise entre 10000x15,9/6138 = 25,9 et 25000x15,9/6138 = 64,7 lux.
Pour éviter une surexposition, la durée d'exposition ne devrait pas dépasser 3.1*10^-2/25,9 = 1/835 s pour une luminance de 10000 lux.
Or le Lomo ne peut pas fermer plus vite que 1/250 s.
--> Le Lomo Instant Wide n'est pas adapté à la photo en pleine lumière.
On peut certes utiliser le filetage de l'objectif, destiné aux compléments optiques, pour mettre un filtre de densité gris neutre. Mais la mesure de la lumière se faisant au-dessus de l'objectif, il n'y a pas moyen de faire prendre en compte le filtre par la cellule. On peut aussi utiliser une compensation "-1". Mais le résultat sera "au petit bonheur". Les photos suivantes ont été prises par fort ensoleillement :
Photo partiellement surexposée, compensation -1 :

Photo sous-exposée, filtre -2,4 EV, compensation + 1 :

Photo "miraculeusement" exposée correctement, filtre -2,4 EV, compensation +1:

Et je n'ai pas mis ici les photos totalement ratées, complètement surexposées.
7) Photo au flash :
Le flash incorporé est de faible nombre-guide, 13, c'est donc un flash de faible puissance, peu performant.
Si on peut le désactiver, on ne peut pas le forcer : c'est le Lomo qui décide ! Pas moyen donc de forcer le flash en extérieur pour, par exemple, enlever un contrejour sur un portrait.
En mode automatique, l'utilisation d'un flash externe est difficile :
- Le Lomo n'est pas assez rapide pour que sa cellule puisse ferme l'obturateur lorsque le film a reçu assez de lumière ; sa vitesse max est de 1/250 s, contre des éclairs de flash qui durent en général de 1/450 à 1/35000 s.
- Il faut donc compter sur le flash pour gérer le problème, mais qu'on utilise un flash en mode manuel ou en mode automatique (flash à senseur incorporé) il faut figer l'ouverture de l'appareil, et on ne le peut pas. On pourra toujours supposer que si l'on veut utiliser le flash c'est qu'il fait sombre, et espérer que le Lomo ouvrira à f8 et régler le flash en conséquence...
En mode "1/30" on fixe l'ouverture à f8; on peut régler le flash en conséquence.
--> Le flash intégré est peu performant, l'utilisation d'un flash externe ne peut se faire qu'à f8, avec une faible profondeur de champ
VIII) L'objectif :
Lomography est connue pour ses objectifs "Lo-Fi", on n'achète pas un appareil de la marque pour faire de la photo fidèle, mais pour les effets plus ou moins surprenants qu'on pourra avoir.
Et on est bien servi avec le Lomo Instant Wide !
Vignettage :

Vignettage accentué en cas de sous-exposition :

Reflets de lumière :

Distorsions (et même une distorsion dissymétrique, en bas de la photo) :

Le complément optique macro est très difficile à maîtriser.
Il ne faut pas oublier de couper le flash :

Et même lorsqu'on a compris (c'est écrit nulle part) qu'il faut faire la mise au point à l'infini, et qu'on a réussi à centrer correctement le sujet, il faut en être à 10 cm précisément (+/- 1 micromètre


C'est pas laid, mais c'est pas net...
--> Lo-Fi ? on est très proche du No-Fi !
9) Conclusion :
Le Lomo Instant Wide est fun et créatif, c'est dans ses gènes.
Il est facile à utiliser, mais difficile à maîtriser : c'est avant tout un appareil approximatif !
- cadrage approximatif,
- mise au point approximative, améliorable,
- profondeur de champ "surprise",
- cellule limitée, à deux ouvertures, inadaptée à la prise de vue en forte lumière extérieure,
- flash incorporé de faible puissance, flash externe d'utilisation délicate, avec ouverture f8 et faible profondeur de champ,
- le complément optique macro est très difficile à maîtriser,
- objectif très "Lo-Fi", avec vignettage, reflets de lumière, distorsions et manque de piqué (en plastique).
Le Lomo Instant Wide cependant peut réserver de très bonnes surprises ! Il faut essayer, noter ce qui marche, et recommencer !

Merci d'avoir lu jusqu'au bout ce long post !